Ce livre n’est pas un essai, un pamphlet, une étude universitaire ou un texte programmatique un roman. Il a reçu pour ses qualités littéraires le Prix de Flore en 2021.
Ce livre n’est pas un essai, un pamphlet, une étude universitaire ou un texte programmatique un roman. Il a reçu pour ses qualités littéraires le Prix de Flore en 2021. Pour autant, son propos est éminemment politique. On y suit les tribulations d’un personnage grotesque et touchant, sympathique raté portant à peu près tous les stigmates de son milieu, celui de la gauche étudiante puis de l’éducation nationale en région parisienne. Spécialiste d’un auteur américain, un poète engagé du côté du communisme, il en a fait la biographie sans juger nécessaire d’en signaler qu’il s’agit d’un afro-américain. Dénoncé pour cette omission, naturellement imputée à des préjugés d’autant plus tenaces qu’ils seraient masqués, il est aussitôt pourchassé sur les réseaux sociaux et, se débattant face à ces attaques il se marginalise sans recours. Comme dans le Procès de Kafka, il se trouve condamné par tous sans même bien comprendre de quoi on l’accuse. Le processus est assez sinistre, mais par le talent de l’écrivain, il s’agit d’un livre drôle tout autant qu’édifiant.
Abel Quentin, de son vrai nom Albéric de Gayardon, est un jeune écrivain (36 ans lors de la parution du Voyant d’Étampes), avocat de profession. Il est diplômé de Sciences Po. Auteur de plusieurs ouvrages, il vient de publier Cabane, toujours aux éditions de l’Observatoire, consacré aux travaux de l’Université de Berkeley en 1973 sur l’écologie et la croissance économique : une nouvelle fois, Abel Quentin aborde un sujet central de l’actualité par le prisme romanesque.
La lecture du Voyant constitue un formidable plaisir, tant l’on entre dans un univers stylistique singulier. Par plusieurs aspects, il s’agit de la même émotion que celle éprouvée lors de la découverte du premier succès de Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, paru en 1994. L’acuité de l’observation sociale, une certaine cruauté dans la peinture psychologique, une audace certaine face aux poncifs du moment, et enfin un retour à une littérature des personnages caractéristique du roman français traditionnel. L’auteur déploie une fine connaissance du militantisme prétendument « anti-fasciste » ou « anti-raciste » des années 80, décennie de sa naissance, qui donne une épaisseur historique à son livre. Il déploie également une grande culture littéraire et idéologique, des années 50 à aujourd’hui, qui lui permet d’ironiser subtilement sur les totems de la gauche française. On apprend beaucoup par cette lecture sur le wokisme dans sa version française. On en perçoit avec effroi les mécanismes d’intimidation des individus et même de destruction de toute liberté de création et d’expression. Cette compréhension se fait de la meilleure manière possible, par l’adhésion à un récit aux rebondissements inattendus. À la réussite littéraire s’allie un message puissant, qui rend ce beau roman utile au combat politique.