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Le modèle occidental de la guerre
Fiche de lecture

Le modèle occidental de la guerre

Histoire

 

L’œuvre historique majeur d’un auteur controversé, Victor Davis Hanson, qui établit le choc frontal des hoplites en équivalent de la décision démocratique.

Que dit-il ?

La thèse de Hanson part d’une interrogation marginale – les dégâts occasionnés à l’agriculture étaient-elles déterminantes dans le déroulé des guerres antiques entre cités grecques ? – pour aboutir à une théorie de la supériorité militaire de l’Occident sur trois millénaires. Ce dernier point sera développé par Hanson dans un ouvrage ultérieur, « Carnage et culture », mais son concept est déjà présent dans le « Modèle occidental de la guerre ». L’ouvrage prend la forme d’une enquête érudite à travers les textes grecs du Vème et IVème siècles av JC. : comment, lors des incessants combats opposant les petites cités grecques, la décision militaire était-elle emportée ? Ces guerres étaient innombrables mais elles étaient courtes. Loin de tourner à une campagne prolongée où l’on dévasterait méthodiquement les ressources de l’adversaire ou bien à une guérilla incessante, l’affrontement était résolu rapidement, généralement en un combat unique. En un lieu donné et en très peu de temps, quelques heures tout au plus, deux troupes de combattants armés (glaives, et lances) et protégés (casques, boucliers et éléments de cuirasse) de manière semblable engageaient un combat frontal, une charge symétrique. Bref et cauchemardesque, le choc entre ces deux masses aboutissait à l’effondrement des uns et la victoire des autres, résultat admis par tous. Tel se déroulait, nous dit Hanson, le combat des hoplites. En soi, pour tous ceux qui s’intéressent à la Grèce antique, les informations que nous apporte le livre sur la guerre des cités suffiraient à justifier sa lecture. Cependant son intérêt tient surtout à deux développements. Tout d’abord, Hanson voit en cette codification de la guerre un équivalent structurel au mode de résolution des différends politiques au sein de chaque cité. D’un côté, des fantassins armés de manière semblable, combattant épaule contre épaule, de leur plein gré et pour un but commun, de l’autre des citoyens dont chaque voix compte autant, hommes libres, souvent petits propriétaires terriens, de condition sociale proche, s’accordant pour régler une question par un vote, en un lieu donné et en peu de temps. La décision militaire serait donc la reproduction du mode de décision politique, et le combat hoplitique le fruit de la démocratie antique. Dans les deux cas la mise en scène d’un affrontement violent, physiquement ou moralement, mais bref et codifié, constituerait la solution la plus satisfaisante d’un point de vue rationnel pour emporter une décision. Ensuite, sortant de la Grèce antique, ce modèle antagoniste serait selon Hanson devenu la marque des guerres occidentales, entre Européens puis envers le reste du monde. Cette structure du combat aurait déterminé nos manières d’envisager tout conflit militaire, et donc à la fois notre façon de s’armer, de se mobiliser et de combattre – bref, de penser la guerre. Il apparaît rapidement que Hanson y voit la clef des succès militaires occidentaux au cours des siècles, bien au-delà d’une supériorité matérielle fréquente. Ces deux points font débat. Ainsi certains, tels Benoist Bihan (voir la revue Guerre et Histoire), soulignent que dans la Grèce antique ce modèle du combat en face à face des hoplites n’épuisait pas la diversité des modes d’affrontement. Surtout, l’extension de ce modèle à toute l’histoire militaire occidentale n’est pas évidente, et, pour rester dans le registre antique, relèverait d’un « lit de Procuste » intellectuel.

Qui l’écrit ?

Victor Davis Hanson est professeur à l’université d’État de Californie. Il allie à sa culture d’helléniste une expérience concrète du travail agricole. Cependant, au cours des dernières années il semble s’être surtout consacré à son activité de polémiste ultra-conservateur, au risque d’amenuiser la crédibilité de ses développements théoriques.

Pourquoi le lire ?

Les origines grecques de la démocratie ont modelé notre imaginaire,et tout travail généalogique en ce domaine stimule nos représentations politiques. En évoquant le combat hoplitique, Hanson nous révèle un schéma culturel qui imprègne les représentations politiques occidentales. Tout au long d’un livre immédiatement accessible, quelle que soit la connaissance antérieure du monde grec, l’érudition se mêle à la clarté du raisonnement, permettant au lecteur d’accepter ou de contester celui-ci.