RN
Le capitalisme Woke
Fiche de lecture

Le capitalisme Woke

Observations sociologiques

 

Le Figaro titrait le 23 août dernier « Jack Daniel’s abandonne ses politiques woke en faveur de l’inclusion » c’est-à-dire que cette société mettait fin à ses initiatives « en matière de diversité, d’équité et d’inclusion », DEI en anglais.

Que dit-il ?

Le Figaro titrait le 23 août dernier « Jack Daniel’s abandonne ses politiques woke en faveur de l’inclusion », c’est-à-dire que cette société mettait fin à ses initiatives « en matière de diversité, d’équité et d’inclusion », DEI en anglais. L’article annonce que la firme Harley-Davidson revenait elle-aussi sur ses politiques DEI, et suggère que les campagnes de boycott menées ou simplement annoncées par des activistes « anti-woke » en seraient largement à l’origine. Ceci souligne l’intérêt de ce livre paru il y a deux ans, qui décrit l’implication des entreprises dans le combat culturel des deux côtés de l’Atlantique. Anne de Guigné trace d’abord la généalogie du phénomène, et nous montre comment la notion de responsabilité sociale des entreprises s’est développée en France grâce aux chrétiens sociaux et aux États-Unis à l’initiative de patrons se voulant philanthropes. Elle souligne aussi comment les différences culturelles entre l’Europe et l’Amérique se sont estompées sous l’effet de la globalisation et du poids des multinationales, de plus en plus autonomes selon elle par rapport aux États. Il y a un discours sur le produit, notamment sur le thème environnemental, soulignant la neutralité carbone de sa production, ou bien le recyclage des matériaux. Une telle démarche relève du marketing et introduit un nouvel élément de choix chez le consommateur, celui d’un « supplément d’âme ». Mais cela vise aussi à éviter aux entreprises, notamment pour les USA, d’être attaquées par certains actionnaires au nom de responsabilités fiduciaires. Tout autre chose est l’intervention des entreprises dans le débat public lors d’un référendum (par exemple Ryanair contre le « brexit ») ou bien à propos d’une loi (Apple au sujet d’un projet législatif de l’état de l’Indiana sur la liberté religieuse). Anne de Guigné évoque également la focalisation du discours des firmes sur la diversité, en s’appuyant malicieusement sur l’universitaire Walter Benn Michaels, auteur de La Diversité contre l’égalité (2006), pour en montrer l’ambiguïté sociale. Elle souligne le zèle des entreprises américaines (Nike, Uber, JP Morgan, etc.) à se signaler lors du mouvement Black Lives Matter en 2020. Malgré la complaisance médiatique à l’égard de cette évolution de l’entreprise, de sérieux problèmes se posent. Tout d’abord, l’engagement politique d’une société privée sur un sujet sans rapport avec sa raison sociale place les salariés dans une position délicate dès lors que leur opinion différerait de celle de leurs dirigeants. Un tel engagement peut d’ailleurs résulter, nous montre Anne de Guigné, moins d’une conviction que de pressions venues d’ONG ou de groupes militants type « sleeping giants ». Évidemment, les sociétés privées se sont souvent impliquées dans la politique, mais ce fut généralement couvert et pour défendre leurs intérêts propres et ceux du système garantissant leur prospérité, voire simplement leur existence. L’exemple en France de la famille de Wendel est ici justement cité : cependant son modèle paternaliste n’avait pas prétention à devenir une norme nationale. Il n’en va pas de même pour les entreprises tenants, y compris via leurs publicités, un discours que l’on peut qualifier de politique.

Qui l’écrit ?

Anne de Guigné est journaliste au Figaro, où elle suit la politique économique française. Elle est diplômée de Sciences Po et de HEC.

Pourquoi le lire ?

Grâce à la vaste culture de l’auteur, notamment historique, cet essai livre beaucoup d’informations, avec une écriture élégante et sur un ton apaisé. Nous sommes ici loin des polémiques et des invectives qui animent les réseaux sociaux sur le wokisme. Surtout, cet ouvrage souligne la complexité du phénomène, lequel n’a rien à voir avec les clivages partisans français. Percutant, rapide et incisif, l’ouvrage cite de nombreux auteurs dont on aimerait parfois voir leur pensée davantage exposée. L’essentiel qu’elle apporte des éléments factuels relatifs au monde entrepreneurial qui éclaire tout le débat sur le wokisme. Et qu’elle souligne dans un chapitre intitulé « La politique privatisée ? » la mise en péril de la démocratie, où se recherche l’intérêt général par le débat entre pairs, par l’intrusion de multinationales dont la logique profonde est nécessairement tout autre.