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Gramsci et le Bloc historique
Fiche de lecture

Gramsci et le Bloc historique

Théorie et vie politique

 

La pensée de Gramsci est le plus souvent réduite à des formules faciles, voire tautologiques – ainsi, « en démocratie on prend le pouvoir par les idées », mais comment cela pourrait-il en être autrement dès lors que la décision est prise via le suffrage universel direct ?

Que dit-il ?

La pensée de Gramsci est le plus souvent réduite à des formules faciles, voire tautologiques – ainsi, « en démocratie on prend le pouvoir par les idées », mais comment cela pourrait-il en être autrement dès lors que la décision est prise via le suffrage universel direct ? Ou alors ses concepts essentiels sont utilisés pour eux-mêmes, isolément, au risque de contre-sens : société civile, intellectuels organiques, hégémonie, etc. A l’inverse, Hugues Portelli nous explique la cohérence de cette pensée et pour cela la replace dans son environnement naturel, le marxisme, dont elle est à la fois l’expression et la transformation. Le point de départ du livre est en effet la contestation par Gramsci de la « théorie du reflet », qui ne ferait de la vie politique que la traduction des tensions entre groupes sociaux, lesquels seraient constitués par l’état des rapports de production à un moment donné. En langue marxiste, on dirait que ce qui se passe dans la superstructure – l’État, les instances culturelles, la vie politique – n’est que le reflet de l’infrastructure – l’économique. Gramsci ne conteste pas l’existence des classes sociales ni leur rapport antagonique, mais considère que cette « théorie du reflet » est bien trop sommaire pour expliquer les développements concrets du débat public – en bref, qu’elle n'est pas assez politique. C’est là où Gramsci développe une notion tout à fait originale, celle de « bloc historique ». Celui-ci a trois dimensions : sociologique, un agrégat de classes sociales autour d’une fraction dominante ; culturelle, un projet de transformation de la société, par exemple l’unification de l’Italie autour du Royaume du Piémont-Sardaigne dans l’exemple pris par Gramsci ; politique, avec une forme particulière et une incarnation individuelle, par exemple toujours en Italie le fascisme et Mussolini. Ce bloc historique pour Gramsci est maçonné par des intellectuels, d’une part des intellectuels au sens courant, ce qu’il appelle des intellectuels « officiels » ou « classiques », d’autre part, et là on a un nouvel apport orignal, les « intellectuels organiques ». Ceux-ci sont très nombreux et, précisément, n’ont pas une fonction sociale reconnue d’intellectuels. Il s’agit de gens ordinaires devenus producteurs d’idéologie, sur leur lieu de travail, en famille, au café, etc, au service du bloc historique auquel ils se rattachent. Tout l’effort pour conquérir, autre concept, « l’hégémonie », c’est-à-dire l’ascendant idéologique sur la société, visera à multiplier et à façonner ces « intellectuels organiques », véritables soutiers de l’idéologie. D’autres concepts gramsciens sont présentés par Portelli, comme le « transformisme » ou la « crise organique », qui nous guide dans cette univers sémantique et intellectuel aussi original que profond, la pensée de Gramsci.

Qui l’écrit ?

Hugues Portelli, doyen de l’Institut Catholique de Paris, agrégé de Sciences Politiques, a notamment été sénateur UMP du Val d’Oise et a participé à la rédaction de Maastricht. Au début des années 1970, cependant, lorsqu’il écrit deux ouvrages pionniers sur l’œuvre de Maastricht, il est proche de Jean-Pierre Chevènement et membre du CERES.

Pourquoi le lire ?

Cet ouvrage, datant d’une cinquantaine d’années et dont l’auteur n’a sans doute pas souhaité la réédition tant il a évolué dans ses engagements politiques, n’est guère plus facile à trouver. Sa lecture est ardue du fait de l’abstraction des raisonnements et d’un vocabulaire renvoyant à une culture théorique largement disparue. Pourtant, pour toute personne souhaitant maîtriser la pensée de Gramsci, elle est indispensable. On y trouve des définitions claires et des raisonnements rigoureux qui récompensent largement l’effort de concentration nécessaire. La référence à Gramsci ne doit pas rester une sorte d’élégance rhétorique mais bien offrir au militant une des lectures possible de l’instant présent.