La sélection des dirigeants politiques par le vote constitue aujourd’hui une évidence, et de même, sous la Vème République, le recours au suffrage universel direct pour trancher les questions décisives, dont l’identité du chef de l’État.
La sélection des dirigeants politiques par le vote constitue aujourd’hui une évidence, et de même, sous la Vème République, le recours au suffrage universel direct pour trancher les questions décisives, dont l’identité du chef de l’État. Patrick Lehingue commence par retracer le long et irrégulier cheminement du vote à travers les siècles, dans la Grèce ou la Rome antiques, naturellement, mais aussi à travers les institutions de l’Église. La France offre ensuite une telle variété de régimes politiques depuis 1789 que l’on peut vérifier que les formes du vote varient profondément selon les époques, ce qui nous permet de poser un regard neuf sur ce sujet. Mais à quoi sert le vote, s’interroge Lehingue. Il opère alors une classification des réponses : à grands traits, l’expression de convictions politiques, la sélection de représentants, mais aussi l’affirmation d’un sentiment d’identité communautaire, et enfin la légitimation du pouvoir pour éviter autant que faire se peut violence physique et désordres sociaux. Il s’agit donc d’une dialectique entre mise en scène de différents et la pacification de leur résolution. Ensuite, depuis deux siècles on tente d’expliquer les mouvements électoraux, ce qu’Alexis de Tocqueville, Karl Marx ou Auguste Comte avaient esquissé au milieu du XIXème siècle au sujet de la IIème République. Lehingue, en universitaire, aborde peu ces penseurs pour mieux se consacrer à l’exposé des théories de sociologie électorale. Il part de l’œuvre d’André Siegfred (Tableau politique de la France de l’Ouest, 1913) qui écrivait : « D’après une opinion courante, les élections ne sont qu’un domaine d’incohérence et de fantaisie. En les observant à la fois de près et de haut, je suis arrivé à une conclusion contraire. »Il va en chercher les « lois » scientifiques et marquera les esprits avec sa démonstration selon laquelle dans la zone rurale qu’il a étudiée, le granit vote à droite et le calcaire à gauche, par un processus passant de la géologie des sols à leur mode d’exploitation, de la concentration ou de la dispersion de l’habitat que cela induit, ainsi que le type de propriété le plus courant, pour aboutir à leur inclination idéologique et enfin leur vote. Lehingue présente de manière succincte et claire l’essentiel des grandes écoles d’interprétation du vote, le plus souvent américaines : l’oevure de Paul Lazarfeld, l’école de Michigan, les modélisations économétriques sensées monter un vote d’intérêt, etc. Il aborde également des problèmes récurrents de l’analyse électorale : à partir de quelle compétence les électeurs décident d’aller voter et choisissent entre les candidats . Existe-il (encore) un vote de classe ? Est-ce l’offre partisane ou la demande citoyenne qui produit le changement politique ? Par son effort de clarification des enjeux et de simplification des modèles interprétatifs, Lehingue nous amène à réfléchir sur des sujets inattendus et à organiser nos opinions parfois confuses et contradictoires sur le comportement électoral. Par son manuel sur le vote, d’une lecture forcément parfois un peu aride, il met de l’ordre dans nos idées.
Patrick Lehingue est professeur de sciences politiques. Il a notamment publié Subunda, coups de sonde dans l’océan des sondages (2007), approche très critique des sondages, inspirée notamment par l’œuvre de Bourdieu, mais aussi travail approfondi et intéressant.
En à peine plus de 200 pages on fait un tour aussi complet que possible des théories explicatives du vote et des questions que cette « technologie sociales » soulèvent. Une prise de hauteur bienvenue pour tout individu engagé dans le combat démocratique. On gagnera en le lisant beaucoup de temps dans la compréhension du vote et donc, pour ceux qui y sont motivés, dans la préparation des échéances électorales.