11/12/2025
Sous le pontificat de François, de 2013 à 2025, des interrogations ont été soulevées dans certains milieux catholiques par ses prises de position sur les migrations. Comme son style tranchait avec celui de son prédécesseur, Benoît XVI, ce questionnement a parfois pris un tour personnel et critique. Pourtant, sur ce sujet sensible, le pape François s’est-il réellement éloigné de ligne de ses prédécesseurs ? Et comment définir et interpréter la position de l’Église avant et peut-être après lui en matière d’immigration ?
# Que dit-il ?
Le sous-titre du livre est nettement polémique : « le pape et le suicide de la civilisation européenne ». Ce ton accusatoire à l’égard du souverain pontife ne se retrouve guère dans le corps de l’ouvrage, où le propos est davantage historique, voire scholastique.
Sa problématique est celle de l’accueil : doit-il être inconditionnel, et donc ouvert à tous, tout le temps ?
Au fil de sa réflexion, Laurent Dandrieu va développer des dualités en apparence irréductibles : la morale individuelle et la politique de l’État, la personne et la multitude, la charité et la nécessité, et peut-être par-dessus tout, la Chrétienté et la Nation.
Mais ce livre est aussi celui d’un journaliste, ce qui en facilite la lecture. Ainsi, il débute avec une frappante mise en contraste entre les tableaux de la bataille de Lépante dans la salle de réception au Vatican, d’une part, et la visite du pape François dans l’île de Lesbos, 450 ans après ce grand affrontement naval entre les troupes menées par le pape Pie V et celles du sultan ottoman. L’humanitaire a remplacé le militaire, le devoir d’hospitalité la défense de la souveraineté, et l’accueil le barrage.
Cela mérite enquête, et Laurent Dandrieu la mène en collectant les pièces à conviction : encycliques, lettres apostoliques, passages du Catéchisme, publications du Conseil apostolique pour l’accueil des migrants sont soigneusement cités et expliqués.
Cet effort aboutit à une réflexion serrée sur les principes qui s’affrontent. Il montre ainsi l’abus qui est fait de la parabole du Bon Samaritain dans le discours catholique contemporain, en rappelant comment dans l’histoire l’Église a su faire la part de ce qui relève de la morale personnelle et de la politique des Nations chrétiennes.
De manière plus étonnante, il rappelle que ce qui peut surprendre dans certains propos de François était déjà présent dans ceux de Pie VI, Jean-Paul II et même Benoît XVI, même si le style des papes successifs fut bien sûr très contrasté. Cette relative continuité depuis 1945 s’éclaire en étudiant les conditions historiques qui ont prévalu dans l’après-guerre, puis dans la guerre froide, où la question des migrations et des frontières, notamment en Europe, se posait en des termes bien différents.
Une dynamique pro-migrants est cependant perceptible, que Laurent Dandrieu expose en se référant à des textes peu connus du grand public mais qui ont inspiré évêques et prêtres au fil des décennies. Il relève aussi une tendance à exalter le multiculturalisme, comme si une Église se voulant sans frontières prévalait sur son respect ancien du fait national.
Il discute enfin avec une subtile érudition la question centrale de l’infaillibilité pontificale en distinguant les domaines où elle s’exerce, montrant combien le croyant conserve de liberté dans le domaine de la politique et, partant, de l’immigration.
# Qui l’écrit ?
Laurent Dandrieu est journaliste, auteurs de différents livres sur le cinéma et la peinture notamment, en charge des pages culturelles de Valeurs Actuelles.
# Pourquoi le lire ?
Laurent Dandrieu dépasse les débats de circonstances suscités par les prises de position pontificales pour traiter en profondeur la doctrine de l’Église sur les migrations. Il nous donne ainsi des références aux textes fondamentaux qui l’ont forgée, ce qui rend son livre toujours pertinent huit ans après sa parution. Grâce à son érudition, il démontre que loin d’être une simple inclination personnelle du pape François, les propos qui ont peu troublé certains catholiques s’inscrivent pour l’essentiel dans la lignée de ses prédécesseurs. Dès lors il oblige le lecteur à comprendre la logique de la doctrine actuelle, même si celle-ci peut toujours évoluer et n’est pas nécessairement exempte de contradictions. Que l’on soit ou non catholique, comprendre la position théorique de l’Église en matière de migrations constitue un enjeu politique de premier ordre.
Citation
« Un malaise croissant entre une Église qui ne veut voir dans les migrants que des individus en détresse, que la parabole du Bon Samaritain commande de secourir, et des fidèles qui, eux, vivent les conséquences directes de cet afflux dont ils sont bien placés pour voir qu’il a, de par sa masse énorme, une dimension politique, et qui sentent bien qu’une parabole évangélique qui vise le secours qu’une personne doit à une autre personne, rencontrée sur le bord du chemin, ne saurait être transposée mécaniquement, autrement que par une singulière paresse intellectuelle, à l’accueil qu’un continent entier devrait à des millions d’étrangers qui déferlent sur ses côtes ».
À retrouver sur le podcast d’actualité culturelle de Campus Héméra
(22ème épisode)
https://smartlink.ausha.co/campus-hemera/l-eglise-et-la-question-de-l-immigration-par-laurent-dandrieu